Journaliste et chroniqueur, Sofiène Ben Farhat vient de publier un nouveau roman «Le chat et le scalpel». Rappelons qu’en 2010, son roman «Le regard du loup» lui a valu le Comar d’or . Entretien
«Le chat et le scalpel» est votre nouveau roman. C’est un roman de romancier ou un roman de journaliste ?
J’ai fait ce travail à la verticale et en même temps en contre-plongée de mon métier de journaliste. Ce roman est une espèce de bilan de dix ans de la révolution. En effet, les romans sont aussi une manière d’écrire l’Histoire. On peut par exemple aisément parler de l’histoire de la Russie sans avoir jamais lu un livre d’Histoire de la Russie. Au fait, il nous suffit de lire un roman de Tourgeniev, de Gogol, de Tolstoï ou de Dostoïevski pour en parler. La première mouture de l’histoire est écrite par des journalistes à chaud, mais, généralement, l’histoire des pays on la retrouve dans l’art et surtout dans le roman qui est un art majeur par excellence.
J’ai eu l’idée d’écrire ce livre en 2016 et, à travers ses personnages, je voulais dépeindre la Tunisie de l’«ici et maintenant». Mais j’ai remarqué que les évolutions n’ont pas abouti . C’est alors qu’en 2019, je me suis rendu compte qu’il y a eu une accumulation de faits et d’enseignements qui peuvent faire l’objet d’un roman. En fait, ce roman raconte l’histoire d’un chat qui tient un scalpel, qui se tient auprès du cœur et qui ronronne. Il y a 198 personnages, mais les principaux d’entre eux sont au nombre de 15. Dans ce roman, j’ai décrit la Tunisie en 2018. Un roman où on se regarde dans un miroir et je sais que c’est un coup de poing. La littérature est d’ailleurs un miroir sans lequel la vie est un mouroir. Et voilà que j’ai commis ce roman avec des personnages qu’on voit dans la rue quotidiennement…
Dans ce roman, les histoires s’imbriquent…
J’aime la démesure et la digression car je suis très influencé par les Mille et une Nuits et par Don Quichotte, etc. où les histoires s’imbriquent et où il y a cette manière de décrire si particulière. En fait, nous sommes des orientaux quelque part mais nous sommes aussi les occidentaux de l’Orient et les orientaux de l’Occident. Nous avons, en effet, cette richesse en tant que maghrébins. La presqu’île du Maghreb est un creuset, ce n’est pas un carrefour : tout ce qui vient de l’extérieur est malaxé en profondeur puis relâché. C’est ce qui explique que le roman maghrébin d’expression française a une teneur particulière. Mohamed Dib, Mohamed Chokri, Mouloud Feraoun, Kateb Yassine, Albert Memmi sont d’une certaine manière plus représentatifs de la réalité nationale profonde que le roman d’expression arabe. C’est paradoxal. En même temps, ces gens vivent de deux imaginaires qui ne sont pas en conflit.
Autant de portraits dans le roman prouvent que vous êtes un «regardeur» de la société tunisienne…
Déjà notre métier est un métier de scrutateur engagé. Et, à un certain moment, on cultive une manière de regarder la réalité autrement. Personnellement, j’ai toujours béni la vie qui m’a permis d’exercer ce métier extraordinaire de journaliste qui me donne l’occasion de participer à l’intensité de la vie mais en même temps, la littérature me donne une autre dimension de ce regard.
En tant que scrutateur engagé, quel est votre regard aujourd’hui sur la politique culturelle en Tunisie ? Certains pensent que la culture est la cinquième roue de la charrette…
La Tunisie est un petit pays, mais c’est un pays lourd dans l’histoire des nations justement par son histoire. La Tunisie est un fait culturel majeur. Si un Martien débarque aujourd’hui et qu’il veut connaître la Tunisie, inévitablement, on va lui présenter Saint Augustin, Tertullien, Ibn Khaldoun, Tahar Haddad, Tahar Ben Achour, Béchir Khraief et Aboulkacem Chebbi. La Tunisie est une superpuissance culturelle, cela a toujours été ma théorie et je travaille beaucoup sur la tunisianité. Il y a une nation tunisienne qui produit l’histoire plutôt qu’elle n’est le produit de l’histoire. Après l’Indépendance, la culture a été un souci majeur des pères fondateurs de l’Etat moderne. A l’époque, la politique voulait profiter de ce gisement culturel immense dont la Tunisie regorge. Aujourd’hui, la culture n’est même pas une cinquième roue de la charrette… Ce n’est même pas un souci politique. Les régimes qui se sont succédé, malgré leur autoritarisme, ont misé sur l’éducation, la culture et sur la promotion de l’identité nationale tunisienne. Maintenant, pour des considérations politiques et idéologiques, on a l’impression qu’il y a, de manière sournoise, la volonté de battre en brèche ce patrimoine historique universel. J’ai l’impression que la culture est battue en brèche pour un dessein non avoué mais démentiel qui veut détruire les attributs de cette culture. Mais la Tunisie ne pourra jamais être phagocytée par les schémas totalitaires quelle que soit leur direction.
Liberte
13 octobre 2020 à 10:21
Si c’est toi qui le dit et l’affirme il n’y a aucun doute de cela cher ami